LA TENDANCE AUTORITAIRE DANS LE CHAOS ITALIEN

A la veille des commémorations, institutionnelles ou non, du naufrage du 3 octobre 2013, des dizaines d’embarcations sont arrivées à Lampedusa : certaines récupérées par des moyens militaires, d’autres secourues par les voiliers de la flotte civile, d’autres encore, arrivées par leurs propres moyens. En quelques heures, plus de 800 femmes, hommes et enfants se sont entassés dans le hotspot. En juillet, août et septembre, près de 24 000 personnes ont ainsi débarqué en Italie.

Des arrivées qui ne s’arrêtent pas, qui ne s’arrêteront pas malgré les efforts féroces déployés par les institutions européennes et le gouvernement italien pour renforcer la capacité des milices et des régimes à détenir ou à rejeter en Égypte, en Libye, en Tunisie et en Algérie.

Dans les mêmes heures à Rome, le gouvernement Meloni continue de produire de nouveaux décrets-lois : un autre « Décret de sécurité n.1660 » est débattu au parlement, tandis que l’approbation du « Décret sur les flux » est imminente. Le premier prévoit une forte limitation du droit de manifester, avec de nouvelles infractions et des sanctions sévères qui frappent des formes de lutte pratiquées et partagées par des milliers de personnes, comme les piquets de grève devant les usines, les bureaux et les écoles, ou les blocages de routes et de voies ferrées. La seconde touche à nouveau les personnes en mouvement, en réduisant les possibilités d’obtenir une protection internationale et en élargissant les possibilités de détention et d’expulsion de personnes migrantes ; une brutalité accrue en accord avec les politiques européennes.

Cette tendance autoritaire, désormais explicite, n’épargne pas la flotte civile : le premier décret contient une règle qui renforce les sanctions à l’encontre des capitaines des navires qui « désobéissent ou résistent aux navires de guerre nationaux », en particulier les patrouilleurs de la Guardia di Finanza engagés dans des « opérations de répression de l’immigration clandestine » ; le deuxième décret contient une règle qui vise directement l’activité des avions de reconnaissance civils.

La guerre se poursuit également dans les ports. Les exemples récents d’attaques, tant sous la forme du « décret Piantedosi » que des mesures technico-bureaucratiques contre le Geo Barents, le Sea-Watch-5 et le Mare Jonio, le démontrent. Pour le navire de Mediterranea Saving Humans, une inspection de 10 heures et demie par l' »équipe anti-ONG » des autorités italiennes s’est terminée par la menace de retirer le certificat de sécurité nécessaire pour naviguer, si l’équipement de sauvetage sur le pont n’était pas débarqué.

Pour le navire de MSF, au même moment à Gênes, une détention administrative de 60 jours a été appliquée. Dans ce cas comme dans celui de Sea-Watch, la motivation pour l’application du décret Piantedosi est la même : ne pas avoir obéi aux ordres criminels des soi-disant garde-côtes libyens.

Telle semble être la réponse du gouvernement d’extrême droite au « chaos italien », en phase avec la montée de la montée de l’extrême-droite en Europe. Un chaos italien constitué d’une longue série d’échecs de la politique raciste anti-immigrés du gouvernement. En effet, les nouveaux décrets et les attaques contre la flotte civile coïncident avec un été particulièrement malheureux pour Meloni et ses ministres de l’Intérieur et des Transports : alors que les débarquements reprennent à Lampedusa et en Calabre, au tribunal de Palerme pour l’affaire de l’Open Arms en août 2019, les procureurs – après un acte d’accusation qui a mis en cause toute la politique des « ports fermés » – réclament six ans de prison pour Salvini. Alors que Piantedosi s’enlise sans pouvoir rendre opérationnel l’accord Italie-Albanie (il n’y a pas encore de date pour l’ouverture des camps), les juges siciliens déclarent illégitimes les détentions de 95 % des personnes enfermées dans les nouveaux centres de Porto Empedocle et de Modica-Pozzallo. Sans oublier les nouveaux jugements de Rome reconnaissant les droits des personnes déportées en Libye, dénonçant la complicité de l’Etat italien.

Ainsi, si la tendance autoritaire est désormais très claire, la difficulté à l’imposer est tout aussi évidente. Non seulement dans l’espace contesté des migrations et des frontières. En réaction aux attaques contre les droits et les libertés se créent des alliances sociales nouvelles et plus larges. Dans la société italienne, nombreux sont celles et ceux qui se rendent compte qu’un droit refusé aux personnes en déplacement est la prémisse de la négation des droits de toutes et tous : la solidarité croissante autour du cas de Maysoon et Marjan, les femmes et les activistes kurdo-iraniens criminalisés en tant que « passeurs », et plus généralement l’attention portée à la situation des « conducteurs de bateaux » en sont la preuve. Si personne ne peut se sentir en sécurité face aux attaques du gouvernement, beaucoup sont désormais prêt.es à se mobiliser contre lui.

Image : Mediterranea Saving Humans

2 octobre 2024

Mediterranea Saving Humans